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Biographie

(Source principale: Catalogue de l’exposition Jean Lecoultre à la Fondation Gianadda, Martigny, 2003, Musée Jenisch Vevey, )

1930
Jean Lecoultre naît le 9 juin à Lausanne. Son père, originaire du Chenit, dans le Jura vaudois, est employé de banque. Sa mère, d’origine italienne, est couturière. Il passe ses loisirs d’écolier à fabriquer des modèles réduits d’avions.

1945
Entre à l’Ecole de commerce de Lausanne. Il y fera la connaissance de René Berger, qui enseigne l’anglais, et de Pietro Sarto, son contemporain et condisciple. S’intéresse à l’art et à la littérature, lit Verlaine, Rimbaud et Mallarmé. Assiste à une conférence de Paul Eluard à Lausanne qui l’impressionne vivement et lui fait découvrir le surréalisme. La revue Minotaure lui ouvre des horizons insoupçonnés.
Les premiers grands fantasmes de la jeunesse – ceux qui d’ailleurs s’évanouissent rarement – naquirent du délire des pages tournées et retournées de la revue Minotaure, découverte par hasard (?) en 1945 dans les rayons de la salle de lecture de la Bibliothèque municipale de Lausanne. De ces pages, où éclataient les peintures, les textes, les phorographies aux affolantes textures de Dali, Magritte, Ernst, Breton, Péret, Man Ray, des échappees 15 sur le Mexique, surgit et s’imposa pour toujours l’image de la locomotive en proie à la mainmise de la végétation.
Greffe prépondérante qui affirme son implant, où le fragile redevient l’égal du fort (ou ce qui en tient lieu), ù la vitesse de métal doit faire arrêt avant de volontiers succomber au lent pouvoir de la vie. Peut-être fut-ce là l’ouverture au vécu et à l’art, qui auraient pu se confondre. Comme une enveloppe et une lettre auraient constitué le même message. Où l’étendue avance sans cesse, se dresse, s’abaisse, s’évase, se recouvre elle-même, comme dans Un coup de dés jamais n’abolira le hasard de Mallarmé lu à cette époque. Il semblait alors que le texte l’emporterait sur la peinture (Curriculum vitae).
Lecture décisive (et féconde à longue échéance) des Chants de Maldoror

1946
Participe à un concours de vacances à l’Ecole de commerce en composant vingt textes poétiques dans l’esprit surréaliste. Pense d’abord s’exprimer par l’écriture, puis opte pour la peinture. Mais ses parents refusent de l’inscrire à l’Ecole des beaux-arts. Fréquentation assidue du ciné-club de Lausanne. Révélation de Bunuel. Le langage du cinéma prend à ses yeux la même importance que celui de la littérature ou de la peinture.


1948
Passe le diplôme commercial de l’Ecole de commerce.
Est engagé par l’agence Swissair de Genève en tant qu’employé du contentieux – fonction peu absorbante à l’époque et qui lui laisse le loisir de dessiner à son bureau.

1949
A la faveur de son salaire d’employé, il peut enfin prendre quelques leçons à l’atelier du peintre Georges Aubert (1886-1961), adepte d’une forme de cubisme inspirée par la peinture de Le Corbusier. Il y apprend la rigueur, la réduction de la gamme des couleurs et des éléments plastiques. Premières peintures fortement influencées par celles de Paul Klee, découvertes dans un petit livre de reproductions (Penguin Books, 1949).

La peinture prend le pas et assiste, avec la protection d’un parrainage arraché vivement à Paul Klee, au peu rassurant spectacle de la première communion du filleul dont les gestes maladroits menacent la solidité des coutures du complet neuf; plutôt mal coupé. Cependant de belle étoffe.
Les signes, malheureusement, ne sont pas les mêmes, les jeunes n’atteignant pas le niveau tant désiré. Mais l’admiration la plus éperdue et un manque de lucidité se chargent de déployer avantageusement l’écran de la croyance.
Et la couleur donc: par les splendides glacis caressés! Hors de question de tourner le dos (Curriculum vitae).

1951
En mars, expose avec le peintre Edouard Henriod à la Galerie Kirchgasse à Zurich une quinzaine de toiles, toujours marquées par l’influence de Klee. Aucun succès.En mai, quitte inopinément son emploi et s’établit à Madrid, bien qu’il n’y ait aucune relation et qu’il ne sache pas l’espagnol. Mais il est bouleversé par la découverte des paysages, de la vie madrilène et du Prado.

La mort n’était alors qu’une disparition, ornée et célébrée dans des cérémonies diverses, constamment fleuries, sans qu’elle laissât de témoins qui la rendissent plus vivante. Puis, avant le lâcher-tout, se devina (avec quelques frissons de bien-être?) une autre mort, notamment par la lecture de l’Espoir de Malraux, la vue du visage de Manolete en carte postale brodée, d’anciennes photos de presse: une mort non plus seulement en terre mais coulée en surface. Dès l’arrivée à Madrid, le premier dimanche, elle attendait, collée dans deux maisons et un monument en ruines, criblés d’impacts de balles et d’obus. Desséchée par le soleil et par le froid, l’hiver. Parfaitement préhensible. Tous les termes de la guerre civile presque mythique pour nous, tous ses tombés se trouvaient inscrits dans ces pierres. Et les histoires goyesques immédiatement hors du Prado et des cadres. Les «Viva la muerte» fissuraient encore les façades en loques derrière lesquelles l’anis et l’aguardiente anesthésiaient les poitrines trouées. L’invite au pelotage des trous d’obus y était vive (Curriculum vitae).
Il vit chichement en donnant des leçons de français et d’anglais. En décembre, première exposition particulière de gouaches et de dessins à la Galerie Clan à Madrid.
Aucun succès.
Amitié avec Ernest Manganel, directeur du Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, qui lui apportera un soutien indéfectible.

1952

En janvier, expose à la Galerie de la Paix à Lausanne, dirigée par Ernest Genton, pittoresque personnalité au flair infaillible. L’ensemble n’était pas exempt de défauts, dont le plus grave se trouait dans une influence un peu trop marquée de Paul Klee, mais au-delà de cet hommage rendu à un maître, et quel maître! par un enthousiaste bien trop jeune encore pour avoir coupé le cordon ombilical, il y avait un métier, une technique, un soin apporté au simple travail, et à travers tout cela, je ne sais quelles résonances qui quand même marquaient déjà l’apport personnel, qui m’incitèrent a jouer sans l’ombre d’une hésitation Lecoultre gagnant (Georges Peillex, Documents).


L’exposition, qui a plus de succès que les précédentes (deux toiles vendues), lui permet à son retour à Madrid de se consacrer totalement à la peinture pendant quelques mois. En juin, il participe avec les peintres espagnols Antonio Saura et Fermín Aguayo à une exposition à la Casa Americana de Madrid (sept peintures). La critique madrilène commence à s’intéresser à lui.
Il se marie avec Acacia Jerez Aguilar. Il se passionne pour le cinéma américain qui aura par la suite une grande influence sur sa peinture: Ce qui m’a le plus frappé? C’est difficile à dire. Toute une mythologie, en fait. Toute cette attirance pour le cinéma noir, et pour l’absurde aussi (Hellzappopin, Marx Brothers). Je retrouvais là un peu de mon surréalisme et de mon dadaïsme. Le côté dramatique de ce cinéma américain me touchait également et j’avais peut-être tendance à le greffer sur une dramaturgie espagnole. Le goût du sang, un certain jusqu’au-boutisme? Mais avant que toutes ces images passent dans mon œuvre, j’ai fait une peinture très austère, très «cas-tillane». Paysages immobiles, hommes pétrifiés où la pierre, l’arbre et le personnage ne sont qu’un. Je me souviens d’avoir vu un paysan contre un olivier qui faisait totalement corps avec lui: déjà la greffe! Je me rends mieux compte aujourd’hui combien j’ai été préoccupé par ce problème de la greffe. Et mon œuvre m’apparait avec le recul – comme un long parcours se déroulant sans rupture ou presque… (Interview par André Kuenzi en 1978).
Publie un texte intitulé «La vieille Castille» dans la revue Pour l’Art dirigée par René Berger. Naissance d’un fils, Guillermo.

1953
Expositions en janvier à la Galerie L’Entracte à Lausanne, dirigée par Ernest Genton; en mars à la Galerie Buchholz à Madrid (avec Saura, Stubbing et d’autres); en mars également à la Galerie Clan à Madrid (organisée par Antonio Saura sur le thème de la peinture fantastique).
Rencontre avec le peintre Vicente Alexandre.
Changement de style, comme si, après une gestation de deux ans, l’expérience espagnole trouvait enfin son expression picturale. Forte présence des paysages et des personnages. La palette se nuance dans un registre terrien de tons jaunes, ocres, terre-de-Sienne, gris et noirs.
Les compositions prennent un caractère architectonique sans doute marqué par le cubisme.


C’est l’Espagne, sans aucun doute, qui a influencé sa palette, suggéré son style, laissé entrevoir le parti à tirer des oppositions oppositions entre l’énergie des masses colorées er l’infini ambigu des espaces soulignés par des jeux modulés de clair-obscur. Les étendues nues et dépouillées cernées d’arabesques incisives de ses paysages, l’attitude altière, les traits profondément creusés de ses personnages au mutisme pathétique ont fourni à Lecoultre les éléments essentiels de son premier message personnel
(Georges Peillex, Documents).


1954
En janvier, le Museo de Arte contemporáneo lui consacre deux salles pour une exposition personnelle (30 peintures et 28 dessins, catalogue préfacé par José Ayllón).
Il commence à être considéré comme un peintre espagnol. Il parle maintenant couramment la langue et fréquente les milieux d’avant-garde, notamment les peintres Antonio Saura, Antoni Tàpies, les écrivainsVicente Alexandre, José Ayllón et Luis Felipe Vivanco, et le cinéaste (alors photographe) Carlos Saura.
Exposition en avril à la Galerie L’Entracte à Lausanne:
On décèle une autorité, une sûreté d’esprit et de main étonnantes dans ces paysages de Castille ambrés, dans ces scènes de rues, ces personnages aux visages silencieux et aux silhouettes si expressives qui évoquent de Vieilles Castillanes, une vendeuse de jarres, des paysans en conversation. Et l’on ne peut qu’admirer la fermeté d’écriture, la parfaite harmonie des ruthmes de la plupart de ces compositions (Georges Peillex, Documents).
Naissance d’une fille, Dolores.

1955
En mai, exposition personnelle à la Galerie Buchholz à Madrid. Obtient la Bourse fédérale des beaux-arts. En novembre, participe à l’exposition Les jeunes peintres suisses romands à la Kunsthalle de Berne.
S’initie à la gravure, notamment à l’eau-forte et à la pointe sèche, chez un ami, Marcel Pointet, qui possède une petite presse.


1956
En mars, exposition à la Galerie L’Entracte à Lausanne:
D’aucuns seront surpris de se trouver en face de toiles aussi noires et blanches et dont les couleurs semblent avoir été mangées par la lumière: le soleil bu par le soleil!
(…). Ce sont les plus beaux et les plus purs noirs que je connaisse, des noirs qui appuient, qui rythment le poème Plastique sans en durcir le thème
(André Kuenzi, Gazette de
Lausanne).

En mai, participe à l’exposition Peintres suisses contemporains à Madrid et à Barcelone. Réalise un album de pochoirs avec un texte de Luis Felipe Vivanco. Obtient à nouveau la Bourse fédérale des beaux-arts.


1957
En avril, expose à la Galerie L’Entracte à Lausanne des œuvres à dominante noir et blanc, très décantées, inspirées des paysages de Castille: L’importance des hiérarchies se dissout lorsque passent l’homme-olivier, le mur-terre-ocre ou le village-poussière-de-blé. Seule une immense et intense surface qui accumule ses pièces, pourtant jamais pareilles, mais si ajustées qu’elles racontent un corps, d’un unique tenant et illimité. Avide d’accrocher dans ses failles les tourments des grands vents ou de les rejeter et leur faire labourer sa peau.
Là, dans les sillons, les bourrelets, les poches, sur les allongements ou sur les veines apparentes l’incommensurable présent s’établit dans les roches, la terre, la pente des collines ou les plis des vêtements (Curriculum vitae).

Revient s’installer à Lausanne pour des raisons familiales, tout en faisant dès lors des séjours fréquents et prolongés à Madrid. L’Espagne restera une source exclusive d’inspiration, jusqu’en 1961.
Faute d’un atelier, travaille pendant deux ans chez ses parents, dans sa chambre d’enfant.


1958
Expositions à la Galerie L’Entracte à Lausanne, à la Galerie Verena Muller à Berne et à la Galerie d’Art moderne de Bâle (collective).


1959
Exécute un album de pochoirs présenté par le poète vaudois Gustave Roud. En octobre, expose à la Biennale de Paris, au Musée d’Art moderne. Loue un atelier à Pully près de Lausanne.


1960
Expositions à la Galerie L’Entracte à Lausanne, à la Galerie Saint-Germain à Genève, à la Galerie Verena Muller à Berne et à la Galerie Berri-Lardy à Paris. Les Editions Pierre Cailler lui consacrent un cahier Documents élaboré par Ivan Bettex et Georges Peillex.


1961
Phase transitoire: les références espagnoles s’estompent.
Personnages indéterminés, en situation de déréliction, souvent décentrés, sur des fonds traités de manière informelle.
Exposition à la Galerie Palette à Zurich. Participation à la 6° Biennale de Tokyo.

1962
Expositions à la Galerie L’Entracte à Lausanne et à la Galerie Biosca à Madrid. Exécute une peinture murale pour l’Ecole primaire de Prélaz à Lausanne, peinture aujourd’hui disparue.


1963
Exposition à la Galerie Engelberts à Genève: D’année en année, l’art de Lecoultre s’est décanté, gagnant en intensité et en profondeur. Dans ses œuvres les plus récentes, la couleur a des résonances dramatiques qui nous éclairent sur les intentions et les sentiments d’un artiste angoissé, profondément révolté contre notre très ubuesque condition humaine (André Kuenzi, préface du catalogue).
Subitement, Lecoultre rompt avec une peinture intemporelle qu’il juge trop complaisante à l’égard du public.
Il décide d’affronter les aspects les plus agressifs de la modernité.
Exécute trois grandes peintures pour la Banque Cantonale Vaudoise à Lausanne. Réalise les décors de Justice du Roi de Jean Bovey d’après Calderón pour le Théâtre de Mézières. Illustrations pour les Pièces condamnées de Baudelaire aux Editions des Gaules à Lausanne.


1964
Participe au Salon de la Jeune Peinture à Paris. Exécute quatre grandes peintures pour le Crédit Foncier Vaudois à Lausanne. Exécute deux grands panneaux pour le secteur «Art de Vivre» à l’Exposition Nationale à Lausanne.

1965
Exposition à la Galerie Engelberts à Genève, avec, dans le catalogue, des textes de Jean Starobinski, Freddy Buache et André Kuenzi. Qu’est-ce qui a changé la peinture de Lecoultre? Nous y retrouvons toujours cette dramaturgie de la solitude, ces effigies captées dans l’instant qui les présente et les efface, ce sentiment d’un événement qui se développe (hors de toute anecdote). Mais la nouveauté, c’est que l’espace se définit et se remplit, que le caractère dramatique des personnages ne reste pas contenu dans leur seule apparition, mais s’explicite dans la relation qu’ils entretiennent avec des objets environnants, précis et agressifs. Ces objets sont ceux de notre monde, je veux dire ceux dont la technique moderne nous a entourés: projecteurs, signaux, machines complexes, matériaux de construction, ventilateurs
(
Jean Starobinski, préface du catalogue).
Commence à pratiquer plus ou moins régulièrement l’estampe, notamment l’eau-forte, l’aquatinte et la lithographie.
En juillet, obtient la licence de pilote d’aviation privé.
Pilotera jusqu’en 1973.

1966
Intensifie encore les aspects de la contemporaneité en recourant à l’aérographe et en intégrant dans ses compositions des éléments métalliques, de la cellophane, de la fourrure synthétique, etc. Le verre multiplié des buildings, les aciers brillants des halls, les larges baies des aéro-ports, les longues vitrines ont changé la scène: les acteurs se voient jouer et paraître leurs propres spectateurs. La substitution s’opère dans les reflets qui se renvoient continuellement leur identité, parfois altérée par les ardents accidents des surfaces. Les corps se glissent peu à peu hors d’eux-mêmes pour se lover dans le solide des volumes étincelants qui les convient à d’autres théâtres. Les supermarchés des durs désirs ouvrent tout exprès leurs rayons aux impeccables emballages rigides et imprenables qui, néanmoins, savent se faire tendres à l’endroit où le ruban ou la ficelle, l’étoffe ou la peau ont déjà marqué un ou plusieurs plis émouvants dans lesquels se dépose la certitude d’être encore en mesure d’entendre les appels à la greffe générale (Curriculum vitae).

Exposition à la Galerie Alice Pauli à Lausanne. Catalogue préfacé par Freddy Buache: Nous reconnaissons la noire histoire présente veinée de fantastique et devant les poèmes plastiques de Lecoultre, c’est bien la sensation que nous donna le piéton de l’espace qui revient: il nous découvre un monde qui est le nôtre et qui ne l’est déjà plus, que nous dirigeons et qui nous dirige, ce monde béant sur un futur installé parmi nous: notre angoisse n’a plus de centre et sa circonférence est partout.


1967
L’image télévisuelle devient une source d’inspiration pré-valente: Par sa façon d’habiter hors de son support, par sa constitution en points infinis, par sa présence en suspension dans l’épaisse et dure opaline de l’écran, l’image est peu physique, mais si éblouissante et si triomphante dans sa reproduction par millions. Par l’inlassable pouvoir individuel de lui fournir sans répit d’inédites pro-positions, le collage d’informations n’aura jamais connu pareil renouvellement de son champ (Curriculum vitae).
Exposition à la Galerie Engelberts à Genève. Exécute une peinture murale pour le Crédit Foncier Vaudois.
Illustre Les Chants de Maldoror de Lautréamont (une œuvre qui avait joué un rôle décisif dans son adolescence) avec quatorze aquatintes aux Editions des Gaules
à Lausanne.
Début d’une collaboration dans le domaine de la gravure avec son ami Pietro Sarto (et Edmond Quinche pour la lithographie) aux Presses Artistiques à Pully.

1968
Je demande à l’art d’aujourd’hui ce qu’ont toujours demandé les artistes à l’art de leur temps et à ses moyens: une expression suraigue de la réalité, un magique quotidien. Cependant, aujourd’hui les signes correspondent de moins en moins au signifié, notre réalité s’en trouve plus riche et plus complexe; d’où l’apparent chaos des œuvres dans leur espace mental et dans les moyens de leur réalisation. Les matériaux actuels (ou parfois les objets) ne peuvent que m’attirer, me happer et me montrer de nouveaux chemins de découverte. Et d’ailleurs, qu’importe le matériau! Je suis peintre, mais je veux avoir également une vision de cinéaste ou de sculpteur, comme le cinéaste ou le sculpteur doivent avoir celle du peintre, afin que cesse l’inexpugnable cloisonnement. La plus extrême rigueur est alors de mise. Nous vivons, regardons et percevons de manière différente depuis que nous nous déplaçons en voiture rapide, en avion; depuis que nous fréquentons ardemment le cinéma et la télévision; depuis que nous respirons le néon des villes; depuis que nous sommes multipliés par le verre, le plexiglas ou le mêtal. Je demande simplement au néon, au plexiglas, au métal, a la lumière et parfois à la toile de nous restituer à nous-mêmes, dans notre poétique et dans nos pièges. Avec une impeccable technique à leur service (Jean Lecoultre, réponse à une interview, Art international, mai 1968).
Voyage en Allemagne, visite de la Documenta à Kassel.


1969
Première d’une série de quinze peintures sur grillage créées jusqu’en 1976 parallèlement aux travaux sur toile et sur papier: Afin de pouvoir passer les événements et faire du temps un présent continu, l’image peinte a été immergée dans les treillis de métal déployé à travers lesquels irrésistiblement non seulement le regard, mais le corps se rendent. La fragilité de l’espace donné s’érige en rivale de la force de représentation» dont la netteté aurait tendance à inciter à une prise de possession immédiate.
Les priorités du solide s’annulent pour laisser la place à un tissu tendu sur lequel les accidents et les incidents qui le rendent organique se développent en un semblable épiderme. Dans ses entailles, ses plis et ses tassements viennent se loger sans dramatiser, ni organiser d’apparat destructeur, les agents de la métamorphose. Ainsi du marbre et de la corde, de la pierre et de l’étoffe, du métal et de l’éponge (Curriculum vitae).

Exposition de dix-neuf peintures, la plupart à l’émail synthétique, à la Galerie Alice Pauli à Lausanne. Exécute une peinture murale pour la Banque Cantonale Vaudoise à Montreux. Reçoit le Prix de la Jeune Gravure à Genève.

1970
Participe à la 35e Biennale de Venise en réalisant pendant trois semaines une série de lithographies à l’aérographe dans un pavillon expérimental, avec le concours de l’Atelier de Villette (qui deviendra l’Atelier de Saint-Prex), et notamment de Pietro Sarto et d’Edmond Quinche.

Envoi d’estampes dans diverses expositions à l’étran-ger, notamment les Graveurs suisses à Stockholm, la 7° Biennale de la gravure à Tokyo et à Kyoto, New Multiple Art à l’Art Council of Great Britain à Londres.
Un film lui est consacré à l’initiative de la Fondation Pro-Helvetia, réalisé par Erika Billeter et Peter Stierlin.

1971
Exposition à la Galerie Engelberts à Genève, comprenant surtout des peintures à l’émail synthétique sur grillage ou sur plexiglas, et procédant d’une transposition ou d’un montage d’éléments photographiques prélevés dans des magazines: Lecoultre aborde maintenant les problemesde l’image-objet et du cinétisme. Il n’entend pas mouvoir ses images artificiellement mais les charger d’une plus grande visualité et renforcer leurs possibilités d’illusion. Les tableaux de Lecoultre quittent ainsi le mur pour venir au centre de la pièce. Composé de grilles métalliques trouées régulièrement et striées, le tableau comprend plusieurs plaques peintes du même motif, mais avec des couleurs et des intensités différentes. Le déplacement du spectateur provoque des interférences entre les trous et crée de nouvelles images. L’œuvre devient le centre et la scène d’un drame brutal et agressif dans sa signification humaine et ses moyens plastiques ( Jean-Luc Daval, Art international, juin 1971).
Exposition à la Galerie Juana Mordo à Madrid. Participe à la Triennale de la gravure à New Delhi et à l’exposition itinérante Dessins suisses au XX° siècle. Envoie à l’exposition D’Après à Lugano un portrait d’Edwin Engelberts devant une toile de Braque En octobre, voyage en Hollande et en Belgique avec Michel Logoz. La bipolarisation de l’irrationalité nordique et de la clarté latine s’accentuera dans son oeuvre.

1972
Expositions à la Galerie Palette à Zurich, à la Maison des Artistes à La Sarraz; de juin à septembre, participe, avec Pietro Sarto, Edmond Quinche, Denise Voita et Urs, à une exposition d’estampes au Pratt Graphic Art Center à New York. A cette occasion, passe une dizaine de jours dans cette ville. Voyage en Allemagne, visite de la
Documenta V.


1973
Exposition de peintures, notamment sur grillage, à la Galerie Alice Pauli à Lausanne. Exécute deux peintures sur grillage pour le bâtiment de la Télévision Suisse Romande à Genève. Pratique assidûment le dessin, notamment aux crayons de couleur.


1974
Exposition à la Galerie Engelberts à Genève, qui édite également Flèches, 26 textes pour 26 dessins de Jean Lecoultre, de René Berger. Se détourne des images médiatiques et se consacre à des sujets plus austères, objets de la vie quotidienne, éléments végétaux ou minéraux. Dessins très épurés au crayon.


1975
Début de la série des Territoires greffés.
Illustration de Un coup de dés jamais n’abolira le hasard de Mallarmé, aux Editions Galerie Engelberts à Genève.
Exposition à la Galerie 57 à Bienne. En novembre-décembre, exposition de trente dessins à la Galerie Alice Pauli à Lausanne.


1976
Exposition sur le thème des Territoires greffés à la Galerie Engelberts à Genève. Exposition avec Pietro Sarto intitulée Curriculum vitae au Musée des Arts décoratifs à Lausanne. Il s’agit d’une tentative originale de reconstituer le contexte existentiel et culturel du travail artistique par des documents personnels, des manuscrits, des photos, des livres de chevet, des photogrammes de films, etc. Catalogue comprenant des textes de l’artiste sur le développement de ses travaux, avec une préface de Freddy Buache: Un grand vent décrassa nos regards: les mots pouvaient donc jouer à la marelle, se métamorphoser et faire l’amour; et l’humour se substituer par plaisir aux règles du savoir! Nous avons alors salué la rencontre inopinée d’une fureur de Maldoror et d’une ligne songeuse de Klee, la rencontre de Prévert et de Marx; de Freud et de Breton, de Bunuel et de Giacometti sur nos tables de logarithmes.

1977
En novembre-décembre, exposition à la Galerie Ditesheim à Neuchâtel sur le thème des Territoires greffés.
Un coup de dés… illustré par Jean Lecoultre est présenté à l’exposition Le Livre et l’Artiste à la Bibliothèque Nationale à Paris.

1978

Un livre lui est consacré aux Editions L’Age d’Homme
Lausanne, avec des textes de Freddy Buache, Charles Goerg et Claude Frochaux. Réalisation des décors de Fin de partie de Samuel Beckett pour le Centre Dramatique de Lausanne.
Représente la Suisse à la 38e Biennale de Venise avec une série de Territoires greffés (peintures et dessins: Lecoultre compose herbe et béton, fourrure et marbre, valise et racines sortant de la pierre. Racontée dans langage réaliste, dans un esprit redevable au surréalisme, la description de chaque greffe est le fragment d’une histoire dont on ne voit qu’un plan fondu, en deux images hors de portée, l’une passée et l’autre peut- être future. Ces lieux de rencontre visuels donnent non seulement la mesure du chaos et du cosmos qu’habite l’être humain, mais ils introduisent encore à une réflexion sur les polarités de l’art (Rainer M. Mason, Journal de Genève).

1979
Exposition à la Galerie Alice Pauli à Lausanne d’une nouvelle série de Territoires greffés. Réalisation des décor de Triptyque de Max Frisch pour le Centre Dramatique de Lausanne. Cette expérience trouvera un prolonge ment dans les peintures qui suivront.

1980
En février-mars, expose avec quatre autres artistes suisses au Centre d’art et de communication de Buenos Aires: Jean Lecoultre poursuit une démarche double.
D’une part il ne cesse de s’interroger sur la désintégration de la matière à laquelle les physiciens donnent le nom d’entropie (et qui devient ostensible à nos yeux sous les espèces de la pollution), débusquant dans l’enveloppe sécurisante de la forme le fil de son érosion, acide et miel mêlés dans la même saveur douce-amère D’autre part son interrogation porte avec non moins d’insistance que de lucidité sur les images que fournissent les médias, images électroniques dont on oublie (mais il nous le fait voir) qu’elles sont l’effet d’un bombardement permanent. L’écran «informateurs réduit au filtre désintégration, l’ontologie des médias retourne la poussière des événements (
René Berger, préface di catalogue).

Début de la série intitulée Etats de sièges qui continuera jusqu’en 1982. Réalisation d’une grande peinture murale pour le Théâtre de l’Octogone à Pully.
En octobre, participe à une exposition sur le pop art en Suisse à Thoune. Reçoit le Prix de la Gravure de la Fondation pour les arts graphiques en Suisse (Cabinet des estampes de l’Ecole polytechnique fédérale à Zurich) et un prix de la Biennale de Mulhouse.

1981
Début de la série intitulée Les Corps constitués, qui durera jusqu’en 1983.


1982
Exposition de peintures et de dessins appartenant aux séries Etats de sièges et Les Corps constitués à la Galerie Alice Pauli à Lausanne. Préface de Freddy Buache.
En juin-juillet, participe à l’exposition Images de la Suisse française à la Fondation Calouste Gulbenkian à Lisbonne: L’objet fascine. Quelle que soit son essence, il est observé jusqu’au vertige et propose un fantastique d’un ordre particulier: la matière investiguée, agressée par le regard, isolée dans un espace étrange qui la distingue, prend une vie autonome, s’altère, s’accidente.
L’immobilité, l’isolement confèrent à l’objet les conditions propres à sa lente mutation. La matière prête à la faille, à la rupture, à la modification
(Claude Ritschard, préface du catalogue).
Rencontre de l’écrivain français Michel Butor, qui aboutira à une collaboration en 1986.


1983
Participe avec une peinture sur grillage à l’exposition Sculptures du XXe siècle au Musée d’Art et d’Histoire à Genève.


1984
Publication de Documentaire, texte et dessins de Jean Lecoultre, aux Editions Bron à Lausanne. Début de la série intitulée Documentaire: Commencée il y a quelques années avec les séries des Territoires greffés, les Corps constitués, puis des Etats de sièges, lélaboration de cette longue suite qui, au fil des épisodes, ressemble de plus en plus a un vaste epiderme où les éléments les plus contradictoires tentent à travers des sortes d’associations, en fait pas véritables, de réduire leur antinomie fondamentale – sans pour autant accepter la fusion – se poursuit ici avec des apports nouveaux sous le titre de Documentaire (extrait de Documentaire).


1985
En juin, exposition sur le thème Documentaire à la Galerie Palette à Zurich. Voyage à Londres, visite de l’exposition Francis Bacon à la Tate Gallery.
En octobre-novembre, exposition de peintures et de pastels de la série Documentaire à la Galerie Alice Pauli à Lausanne: Cela fait vingt-cinq ans que je pense à la même chose. Tout artiste n’a que quelques obsessions dans sa vie. Il en fait une vie: je suis Gémeaux et je n’ai jamais pu avoir deux parts: ça complique bien les choses.
Il y a entre nous deux un dialogue, intéressant, mais pénible. Chez moi, l’instinct court en même temps que le mental. Si l’on se fie aux apparences, je vis quasiment comme un fonctionnaire. Mais ma vie et ma peinture sont indissociables. Il y a bien une petite distance d’observateur entre moi et mon travail, mais pas rupture, bien au contraire. Je tombe dans les mêmes abîmes que l’on voit dans ma peinture
(Jean Lecoultre, interviewé par Monique Picard dans L’Hebdo).


1986
Début de la série des Domaines rapportés. Septembre-octobre, exposition à la Galerie Ditesheim à Neuchâtel, sur le thème des Domaines rapportés: Il se dégage de l’image produite non pas seulement un effet mais une présence, presque inquiétante dans sa façon de se dérober tout en étant là. En effet, bien qu’immédiatement perceptible, l’image semble davantage cacher quelque chose que le montrer (Stanislav Joey, Le Courrier Neuchâtelois).

1987
Publication de Menace intime, texte de Michel Butor avec trente-sept dessins de Jean Lecoultre aux Editions du Verseau.
En septembre, exposition de pastels à la Galerie du Château à Avenches: Je me tiens en des lieux que ma mémoire féconde Je m’y loge et je m’y sens traversé de désirs inouïs où se mêlent la netteté de la glace et la douceur du tissu, la brutalité du marbre et la précarité de la chair, l’obscurité des caveaux et l’éclat des ampoules électriques. Tels sont mes dédales. En les parcourant je regagne une espêce de prébistoire intime. Je sais que vous n’y comprenez rien.
Apprenez donc que je suis enragé. Que ma violence est prodigieuse. Que je voudrais observer de vieux rhinocéros et m’émerveiller de leur pouvoir massif. Que je voudrais frémir au souffle cuirassé des dinosaures. Que je voudrais retrouver le fastueux royaume d’écailles, de griffes, de plumes et d’ailes, de sexe et d’herbe alors à peine différenciés d’où jaillit l’espèce humaine au berceau des millénaires. Que ces temps-là forment l’assise épique de ma personne et nourrissent mon énergie. Que j’y découvre l’accord sauvage de la souplesse et du lam-beau. Qu’il y règne la justesse des lignes et des énergies
(Christophe Gallaz, Le Matin).


1988
Exposition de peintures et de dessins appartenant à la série des Domaines rapportés à la Galerie Alice Pauli à Lausanne. Préface de Michel Thévoz. Participe à la Biennale de Tokyo consacrée à l’art contemporain en Suisse.

1989
Parution de la monographie Jean Lecoultre par Michel
Thévoz aux Editions d’Art Albert Skira à Genève.

1990
Exposition au Musée cantonal des beaux-arts à Lausanne et à la Fondation Calouste Gulbenkian à Lisbonne, organisée par Claude Ritschard (quelque 150 peintures et dessins). Catalogue avec des textes de Erika Billeter,
Jacques Chessex, Bertil Galland, Christophe Gallaz, José Sommer Ribeiro, Claude Ritschard et Michel Thévoz.
Début de la série Vous-mêmes.

1991
Exposition Vous-mêmes à la Galerie Alice Pauli à Lausanne, avec dans le catalogue un texte de l’artiste intitulé Etat des lieux: Depuis quelques années déjà le désir de retrouver et de prolonger les œuvres de 1965-1967 s’est imposé à moi. Il n’était évidemment pas question de les reprendre dans leur processus d’alors, mais, en appréhendant la distance parcourue, d’en retirer un nouveau climat. La série Vous-mêmes montrée ici en est le dernier témoin.


1992
Participe à l’exposition Pour un musée d’art moderne et contemporain au Musée Rath à Genève. Série Hors tout.


1993
Exposition de la série Répliques à la Galerie Ditesheim à Neuchâtel. Début de deux séries parallèles, Ombres emportées et Les interviews.


1994
Exposition des Euvres sur papier au Musée Jenisch à Vevey. Catalogue préfacé par Bernard Blatter, avec des textes de Michel Butor et d’Antonio Saura.

1995
Exposition Les interviews et Ombres emportées à la Gale. rie Alice Pauli : Lausanne, préface de Christophe Gallaz:
Est-ce un retour au climat des films policiers américains, chers au Lecoultre de naguère? Sans doute. Mais c’est
l’Europe d’à présent qui se signale par des médailles à tête d’aigle, des criailleries héraldiques, des plaquettes de soldat gravées du groupe sanguin, des coupures de presse où nous lisons, en nous approchant du paper jauni,
“The West’s perverse economic choice»
(Bertil Galland).
Ensemble de peintures et de dessins intitulé Ombres et corps vêtus pour la Banque Cantonale Vaudoise à Pully.
Prix de la Fondation pour l’art et la culture, Lausanne.
Exposition ouvres récentes à la Fondation de l’Hermitage à Lausanne.


1996
Début de la série Pièces à conviction.


1998
Exposition Pièces à conviction à la Galerie Ditesheim à Neuchâtel. Prix de la Fondation pour l’art et la culture, Lausanne.

1999
Publication de La Chambre, texte de Christophe Gallaz et dessins de Jean Lecoultre, aux Editions L’Age d’Homme. Exposition Témoins retrouvés à la Galerie
Alice Pauli à Lausanne.


2000
Séries intitulées Up and down et Panoplies.


2001
Participation à l’exposition Obra gráfica internacional,
Fundación Antonio Pérez, Cuenca.


2002
Participation à l’exposition BCV-ART, acquisitions 1991-
2001, Musée Jenisch, Vevey. Exposition de peintures au Centro Cultural del Conde Duque à Madrid et au Centre d’Art Présence Van Gogh / Art contemporain à
Saint-Rémy-de-Provence. Exposition d’œuvres sur papier à la Fundación Antonio Pérez à Cuenca et au Centro Cultural Círculo del Arte à Barcelone. Novembre: exposition rétrospective à la Fondation Pierre Gianadda à
Martigny.

2004

Exposition chez Alice Pauli à Lausanne

2005

Castello della Lucertola, Apricale, Italie. Rétrospective de l’oeuvre gravé et lithographié

2006

Galerie Guigon Paris, Exposition Composants dérivés. Texte de Christophe Bataille

2010

ELAC, Lausanne. Rétrospective. Commissaire de l’exposition: Pierre Keller

Parution de la monographie Jean Lecoultre ou la haine de la peinture aux Editions de la Matze, Sion.

2014

Exposition à la Galerie Ditesheim-Maffei, peintures récentes “Après”. Textes de Christophe Gallaz et Philippe Mottaz. Projection de l’installation vidéo La Toile Numéro 9, de Philippe Mottaz et Gabriel Basso

2021

Exposition Jean Lecoultre, l’oeil à vif au Musée Jenisch à Vevey.

Parution de l’ouvrage du même titre aux éditions La Dogana avec des textes de Nathalie Chaix, Christophe Gallaz et Florian Rodari, commissaire de l’exposition.

2023

Meurt à Lausanne le 22 mars.


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